Nous habitions un bled d’un peu moins de 5000 âmes, tout en pente  St-Imier, parce que mon père avait décidé passer sa vie avec un migrosse sur l’œil, à la compagnie des montres Longines. Nous étions fiers qu’il y travaillât, car la firme est mondialement connue, malgré les salaires de misère qu’il ramenait pour élever ses quatre gosses. Mais à l’époque, beaucoup étaient à la même enseigne.

Notre grand plaisir était de nous rendre à la ferme paternelle de Lajoux, surtout aux époques où il fallait des bras supplémentaires, la mécanisation n’étant encore qu’un projet. Oncles, tantes, cousins, cousines, on était tous au boulot et à la fête, ainsi que de pauvres diables fragilisés psychiquement, placés par la clinique toute proche, où notre grand-mère en or massif avait travaillé. Il me souvient encore de ses tartines faites avec un gros « triquet » de pain beurré et recouverte de sucre. A chaque coup, j’avais droit à une remontrance parce que j’allais caresser les chevaux, taper sur le cul des vaches, flatter les lapins, lancer du grain aux poules ou grogner avec les cochons avant de faire les bisous d’usage à la famille. On aimait aller rechercher le bétail aux pâturages, sauter dans le foin depuis les poutres de la grange, chicaner l’Achile (un bon type placé), ramasser les « patates », conduire le mono-axe, etc. Une expérience magnifique que je souhaite à chacun de connaître.

Plusieurs fois, quand j’entrais dans le poulailler, une sale bête de coq me sautait dessus et me « volait dans les plumes ». Et je n’étais pas le seul à qui cela arrivait. Si bien qu’un jour, mon oncle décida de de le bousiller, et qu’il allait figurer au prochain menu. Je l’entends encore « cocoricoter » à tue-tête, flairant la sentence funeste. Ce fut la première exécution à laquelle j’assistai. Tonton Pierre lui tenait fermement les deux pattes, posa son cou sur un billon et « tchac », la hache fit office de guillotine. Sa tête hébétée roula par terre, l’œil hagard, tandis que ses nerfs, réagissant dans un dernier soubresaut fit que le gallinacé s’envola jusqu’au sommet du toit et il fallut avoir recours à des échelles pour aller récupérer ce gros beujon.

Et lendemain, alors qu’on se réjouissait de piquer notre fourchette dans sa chair de connard, impossible de le manger. Trop dur, comme pour nous narguer encore une fois.

 Clodo