L'écregneûle

 

 

Il doit faire un mètre soixante à tout casser. Il flotte dans son pantalon trop large pour lui. Sous son paletot bien trop grand, on devine des bras malingres. Il ne semble pas avoir d’âge, est toujours seul et est d’une banalité consternante. De plus, le peu de cheveux qu’il lui reste forme une couronne poivre et sel qui laisse apparaître une calvitie lisse. Même ses oreilles semblent énormes sur son visage osseux. Bien sûr, il n’y a pas l’ombre d’un bourrelet sous sa ceinture. C’est ça, un écregneûle, un petit être chétif, maigre, sans force, un mot qui nous vient du patois jurassien et qui colle parfaitement à la définition du personnage.

Il est assis au bar, touillant inlassablement son café-crème, le regard vide et l’air absent. Il n’accorde aucun regard à la serveuse au physique pourtant fort avenant. Elle lui sourit ; « ça va » ? s’inquiète-t-elle. Il daigne alors tourner ses yeux de chien battu dans sa direction et hausse ses frêles épaules en soupirant, sans répondre. Il doit avoir le même état d’esprit que son apparence : étriqué. Dans un geste qui paraît lui demander un gros effort, il consulte sa montre qui date d’un autre temps et dont il du dû rajouter des trous au bracelet pour qu’elle ne tourne pas sans arrêt autour de son délicat poignet. Geste machinal, car il ne semble même pas avoir conscience du temps qui passe. Il appelle la belle égérie, paie son café en ne laissant bien entendu aucun pourboire, descend avec peine de son tabouret de bar et quitte l’établissement avec la seule démarche qu’on aurait pu lui supposer : hésitante et chancelante, comme si ses maigres jambes pouvaient à peine supporter ce corps rachitique.

Et il s’en va, l’écregneûle, ce petit homme rabougri qui semble ne pas avoir d’états d’âme et qui paraît traverser la vie sans avoir conscience de son entourage.

 

Clodo